Les Jésuites et les origines de la Nouvelle-France

Conférence donnée à l’invitation de Touraine-Canada et de son président M. Jacques Lansac le dimanche 13 mars 2016 par M. Jean Petit, agrégé de l’Université, professeur honoraire de chaire supérieure au Prytanée national militaire de La Flèche, Vice- président de La Flèche-Canada.

Préambule

Lorsqu’en 1800 Chateaubriand publiait à l’âge de 32 ans le Génie du Christianisme, il y avait 37 ans que le traité de Paris du 10 février 1763 mettait fin au Canada français. Dans un chapitre consacré aux Missions de la Nouvelle France, l’écrivain malouin affirmait : « Si la France vit son empire s’étendre en Amérique,… si elle le conserva si longtemps contre les Iroquois et les Anglais unis, elle dut presque tous ses succès aux Jésuites. Ce furent eux qui sauvèrent la colonie au berceau. » ( Pléiade, p. 1002)

Voilà pourquoi nous allons évoquer ici de nombreuses figures de Jésuites qui ont marqué les origines de ce que fut la Nouvelle France. Mais il convient pour commencer d’analyser le contexte dans lequel les Jésuites vont œuvrer. La France sort des guerres de religion et commence à mettre en œuvre les décisions du concile de Trente à la suite duquel les Jésuites animeront ce courant de la Réforme catholique ou Contre-Réforme, ils auront à lutter contre les marchands et armateurs protestants.

Dans les premières décennies du XVIIème siècle en France, la Compagnie de Jésus représente une société de la plus haute importance. Approuvés en 1540 par l’Eglise, les Jésuites se répandent rapidement à travers tout le royaume. La qualité intellectuelle et sociale de leur recrutement leur assure en France une place de premier plan. Forts des succès apostoliques et scolaires qu’ils rencontrent dans leurs collèges, les Jésuites suscitent dès lors bien des jalousies et en particulier celles des Universités qui tenaient à leurs privilèges séculaires du monopole d’attribution des titres et grades. Par ailleurs, l’ultramontanisme de la Compagnie de Jésus, quoique discret, suscitait aussi l’hostilité des Parlements à tendance gallicane. De plus, l’attentat de Jean Châtel, élève des Jésuites au Collège parisien de Clermont, contre le roi Henri IV le 27 décembre 1594, avait fait bannir tous les Jésuites du royaume de France. Ce bannissement dura jusqu’en 1603.

Or, en 1603, sur les instances du fléchois Fouquet de La Varenne, l’homme de confiance du roi, Henri IV rencontre en Lorraine le Provincial des Jésuites, le Père Ignace Armand, et le Père Pierre Coton dont il a entendu chanter les louanges par un vieil huguenot, Lesdiguières. En septembre 1603, le roi rappelle les Jésuites et nomme le Père Coton prédicateur officiel et confesseur du roi, fonction que les Jésuites conserveront tout au long du XVIIème siècle. Notons au passage qu’il faudra au Père Coton, embarrassé par la présence de nombreuses maîtresses royales beaucoup de souplesse dans ses remontrances, d’où les jurons du roi Henri IV« jarnicoton » et les jeux de mots de la Cour « Le roi a du Coton dans les oreilles. » Ainsi les Jésuites vont exercer auprès du roi une influence considérable. Leurs collèges où sont scolarisés des milliers d’élèves pour la plupart gentilshommes leur donnent aussi une emprise inégalée sur l’aristocratie française.

Cette même année Henri IV donne aux Jésuites son Château-neuf de La Flèche, construit par sa grand-mère Françoise d’Alençon et achevé par ses parents, Antoine de Bourbon et Jeanne d’Albret, pour qu’ils y fondent un important collège dont l’église devra recevoir le cœur du roi en 1610. Et dans le même temps les Jésuites sont sollicités pour aller aux missions de la Nouvelle-France. Je vais donc vous en présenter trois moments : la mission de l’Acadie, la fondation de Québec et celle de Montréal avant de montrer en terminant la grandeur héroïque de ces missionnaires jésuites en Nouvelle-France. Evoquons d’abord les circonstances de l’envoi des Jésuites en Acadie.

L’Acadie et les Jésuites

Depuis que le géographe Giovanni da Verrazano (1485-1528) avait donné le nom de Nouvelle-France à ce vaste territoire que nous appelons maintenant le Canada, nom que reprendra Samuel Champlain dans ses Relations, et depuis que Jacques Cartier et Jean-François de Roberval avaient essayé sous le règne de François Ier, entre 1541 et 1543, de faire vivre une colonie acadienne, un intérêt certain s’était manifesté en France pour ces régions au Nord de l’Amérique. Certes, des pêcheurs et des marchands, bretons, basques et normands, y avaient pris leurs habitudes. Mais les guerres de religion dans la seconde moitié du XVIème siècle allaient accaparer les énergies françaises. Il fallut attendre 1598, l’Edit de Nantes et surtout la paix de Vervins (2 mai 1598), pour que le roi Henri IV s’intéressât activement au Canada.

De fait, en cette même année 1598, il nomme un gentilhomme breton, le marquis de La Roche, comme son lieutenant général « ès pays de Canada, Hochelaga, Terre-Neuve, Labrador… et terres adjacentes ». Mais avec un seul bateau, le marquis de La Roche échoue dans sa mission, tout comme en 1599, l’expédition d’un capitaine normand Chauvin qui s’était fait octroyer un monopole commercial sur le fleuve Saint-Laurent.
En 1603, pour une nouvelle expédition Henri IV nomme un autre normand, le gouverneur de Dieppe, Aymar de Chastes comme lieutenant général pour la Nouvelle-France. Mais celui-ci meurt quelques mois après sa nomination. Le roi fait alors organiser une Compagnie de commerce pour les pays situés entre le quarantième et le cinquante-deuxième parallèles. Il confie alors à deux capitaines de la Marine royale, le Malouin Pont-Gravé et Samuel de Champlain, natif de Brouage (1570-1635) le soin de mener une expédition de conquête, non pas comme les Espagnols pour s’assurer des richesses avec des « mines d’or », mais pour accroître le domaine de la couronne. « La plus belle mine que je sache, écrit l’un des premiers colons Marc Lescarbot, c’est du blé et du vin, avec la nourriture du bétail. » A ces buts économiques et politiques, l’expédition devait aussi prendre en compte « des buts religieux et humanitaires : propager la foi chrétienne et tirer les indigènes sauvages de la barbarie ».

Or en 1604 Samuel de Champlain avec Dugua de Monts, récemment nommé lieutenant général pour la Nouvelle-France, avait reçu mission d’exploiter la Compagnie de commerce de la Nouvelle-France où les marchands tirent un grand profit de la vente des peaux et fourrures apportées par les « Sauvages ». Champlain, Dugua de Monts, ce calviniste disciple de la R.P.R. (Religion prétendue réformée) selon les termes officiellement utilisés depuis l’édit de Beaulieu en 1576, et le baron de Poutrincourt, un catholique ligueur, vont partir de Honfleur vers l’Acadie. Cette expédition emmenant une soixantaine d’hommes connaîtra le succès avec le peuplement de Port-Royal, aujourd’hui Annapolis.

Après avoir contourné le sud de la Nouvelle-Ecosse d’aujourd’hui, Dugua de Monts laisse Champlain partir vers le Saint-Laurent. Il installe une colonie à Port-Royal dans la baie de Fundy. Il commence à trafiquer avec les indigènes Micmacs avec leur chef le sagamos Membertou. Mais en 1606 le scorbut emporte 12 colons de Port-Royal soit le cinqième de la colonie. Le baron de Poutrincourt en 1607 revient en France, débarque à Roscoff et va rencontrer à Paris le roi Henri IV, lui expose la situation de la colonie naissante en Acadie. Le roi lui signifie alors l’ordre d’emmener avec lui des Jésuites pour la conversion des Sauvages. Il ajoute que le trésor royal pourvoira à la dépense des missionnaires. Le roi, en effet, écrit Marc Lescarbot, était très mécontent du peu de progrès de la christianisation de l’Acadie, alors qu’il avait enjoint à Dugua de Monts « d’appeler les Sauvages , les faire instruire, provoquer, émouvoir à la connaissance de Dieu et à la lumière de la foi et religion chrétienne ».

Dès 1608, Henri IV et le Père Coton, son confesseur, font désigner les deux Jésuites qui partiront pour l’Acadie. Mais les manœuvres des marchands calvinistes font ajourner leur départ. Poutrincourt et Marc Lescarbot bien qu’ils fussent chrétiens, se montrent peu favorables à l’envoi de Jésuites. En 1610, après l’assassinat d’Henri IV, la reine régente Marie de Médicis veut faire exécuter le projet du feu roi. Des obstacles surgissent encore venant cette fois de commerçants dieppois calvinistes qui se refusaient à transporter des Jésuites sur leur bateau. Les obstacles levés sur intervention de la cour, le 22 mai 1611, débarquaient à Port Royal d’Acadie du navire « la Grâce-de-Dieu », le père Biard et le père Ennemond Massé, les jésuites désignés qui étaient heureux de pouvoir enfin bientôt commencer l’évangélisation des Sauvages. Leur voyage avait duré quatre mois. « Nous sommes partis de Dieppe sur La Grâce-de-Dieu avec un temps très défavorable. Le vaisseau était petit, mal équipé, et monté par des matelots, la plupart hérétiques. Comme nous étions en hiver et sur une mer orageuse, nous avons éprouvé de nombreuses et terribles tempêtes… On peut juger par là ce que nous avons eu à souffrir sous tous les rapports. » (P.Caraillon, Documents inédits, vol.12, page 93)

Le Père Pierre Biard, homme robuste et fort savant, jésuite depuis 1583, était professeur de théologie morale et d’hébreu à Lyon. Le Père Edmond Massé jésuite depuis 1594 à l’âge de vingt ans, avait été envoyé en 1608 à Paris comme « socius » (compagnon) du Père Coton alors confesseur du roi. Les deux Jésuites arrivés en Acadie voulurent commencer l’évangélisation des peuplades indiennes et d’abord de la tribu nomade des Micmacs ou Souriquois qui vivaient de la chasse et de la pêche. Leur grand chef ou Sagamos était un vieillard de 100 ans nommé Membertou. Il s’était précédemment lié d’amitié avec les Français en 1604 et il avait reçu avec sa famille, bien rapidement, le baptême sans aucune préparation. D’où la grande surprise des deux missionnaires. « Si nous leur demandons, écrit le Père Biard en juin 1611, êtes-vous chrétiens ? Même les plus habiles répondent ordinairement qu’ils ignorent de quoi on leur parle. Si on change la question et qu’on leur dise, êtes vous baptisés ? , ils disent que oui et qu’ils sont déjà presqu eNormands ! ». Normands, c’est le nom qu’ils donnent généralement à tous les Français.

Bref, à Port-Royal sur le plan religieux, tout était à faire ou à refaire. Les Jésuites commencent alors à apprendre la langue des Souriquois et à parcourir les forêts pour mieux connaître le cadre et les mœurs de ces populations nomades.

Mais en 1613, Argall, un aventurier gallois, à la tête de corsaires anglais, attaquent les habitations de Port-Royal et de Saint-Sauveur d’Acadie. Les corsaires anglais capturent les colons, emmènent les pères Biard et Massé qu’ils menacent de la potence. Le gouvernement de la France obtient de Londres après négociation le retour en France de tous les colons faits prisonniers. Le Père Biard de retour à Lyon écrit la première Relation sur la Nouvelle France, tandis que le Père Ennemond Massé est nommé ministre du collège de La Flèche en 1614. Il restera dans ce grand Collège Henri-le-Grand dix ans. Le Père Biard rendait familier au public cultivé le nom de l’Acadie, la vie et les mœurs des sauvages et rappelait à chaque chrétien ses devoirs envers les païens ignorant les vérités de l’Evangile. Le Père Massé stimulait par ses récits les jeunes imaginations des 1200 élèves du Collège de La Flèche tout autant que les désirs d’apostolat missionnaire de la cinquantaine de novices jésuites du Collège.

Les jésuites en 1614 quittaient donc la mission de l’Acadie en Nouvelle France sans avoir pu mener à bien leurs projets d’évangélisation des Sauvages avec lesquels pourtant ils étaient entrés en amitié.

Québec et les Jésuites.

Dix années passèrent et nous allons retrouver les Jésuites à Québec. En effet, les Franciscains Récollets qui avaient assumé la charge d’évangéliser les rives du Saint-Laurent, la région de Québec en particulier, étaient trop peu nombreux et se rendaient compte de la nécessité de faire appel à d’autres religieux. L’un des leurs, le Père Irénée Pia, proposa donc au début de 1625 de faire appel à la collaboration des pères jésuites. Ceux-ci en effet étaient convaincus de la nécessité d’instruire les enfants des Amérindiens pour les amener par ce moyen au christianisme. Le Père Pia vint trouver en France pour ce projet le père Coton alors provincial des jésuites de Paris. Il rencontra aussi Henri de Lévis, duc de Ventadour. C’était le vice-roi du Canada, un dévot qui plus tard allait fonder la Compagnie du Saint-Sacrement. Cette Compagnie cherchait à rénover la vie chrétienne personnelle dans la société. Le duc de Ventadour accepta sans peine d’organiser une nouvelle expédition pour la Nouvelle France avec un groupe de Jésuites.

Le Père Coton désigna alors le Père Ennemond Massé, l’ancien missionnaire de l’Acadie revenu au Collège de La Flèche depuis 1614, le Père Jean de Brébeuf, descendant d’une famille normande qui jadis avait combattu avec Saint Louis sur la plage de Damiette en Egypte, et le Père Charles Lalemant, un Jésuite ancien élève du Collège de la Flèche. Celui-ci fut nommé supérieur de la mission canadienne. Ces trois Jésuites accompagnés d’une vingtaine d’hommes partirent de Dieppe le 24 avril 1625 pour arriver à Québec le 15 juin. C’était la deuxième fois que les Jésuites débarquaient sur le sol canadien. Mais alors pour la première fois, ils remontent le Saint-Laurent, ce fleuve majestueux et rapide qu’ils emprunteront ensuite si souvent sur le canot des sauvages convertis.

En l’absence de Champlain, le gouverneur retenu à Paris, son remplaçant, Emery de Caen, réserva aux Jésuites un accueil très froid, leur déclarant qu’ « il n’y a pas de place pour eux, ni à l’habitation, ni au fort de Québec, et qu’il n’a reçu aucun ordre du vice-roi Henri de Ventadour ». Les Récollets accueillent fraternellement les Jésuites qui près de la rivière Saint-Charles obtiendront une concession et bâtiront après défrichement leur résidence de Notre-Dame des Anges. Le Père Jean de Brébeuf se rendit alors chez les Hurons pour apprendre leur langue, et partager leur existence afin de mieux connaître leurs us et coutumes. Le Père Charles Lalemant de son côté dès 1626 avait bien compris que tant que la Compagnie des marchands seraient dirigés par des Calvinistes et qu’elle aurait en Nouvelle France le monopole du commerce des peaux et fourrures, on ne pouvait pas compter sur elle pour aider à l’évangélisation et à l’établissement d’une véritable agriculture chez ces populations nomades.

C’est alors que le Père Charles Lalemant va faire un rapport sur le triste état de la colonie de Québec et éclairer ainsi le cardinal de Richelieu et le Conseil du roi. Le cardinal supprime alors la Compagnie des marchands, la remplace par la Compagnie des cent Associés ou de la Nouvelle France, le 29 avril 1627. Richelieu prend lui-même la tête de la Compagnie de la Nouvelle France, dont l’acte de fondation précise qu’elle ne fera passer au Canada que des Français et des catholiques, qu’elle en transportera dès 1628 de 200 à 300 par an, leur distribuera des terres défrichées et des semences, que les sauvages convertis seront censés et réputés naturels français.

Mais la mission jésuite allait affronter une grande épreuve quand Québec fut attaquée en 1629 par les frères Kirke. Ces anglais nés à Dieppe d’une mère française avaient équipé à Londres une flotte et, au nom du roi d’Angleterre, ils prétendaient prendre possession du Canada. Malgré sa courageuse résistance, Champlain fut amené à capituler dans Québec le 16 juillet 1629. A Tadoussac, il avait eu la désagréable surprise d’être trahi par un calviniste Jacques Michel qui avait renseigné les frères Kirke. Champlain avait rappelé Brébeuf de chez les Hurons et emmena avec lui tous les missionnaires jésuites. Ainsi s’achevait pour la Compagnie de Jésus un deuxième moment de la mission au Canada. En octobre 1629, le Père Massé revint à La Flèche et Brébeuf au Collège de Rouen. Le jésuite Barthélémy Vimont, élève du Collège de La Flèche de 1615 à 1618, revint au Collège d’Eu, près de Dieppe.

Après cette seconde présence en Nouvelle France, les Jésuites allaient revenir quelques années plus tard.

« Si la prise de Québec ne fut pas un acte caractérisé de piraterie, sa restitution s’imposait comme un acte de justice. » écrit l’historien Camille de Rochemonteix. Sur le rapport de Champlain, Louis XIII réclama aux Anglais la restitution du fort et de l’habitation de Québec. Le roi Charles Ier d’Angleterre ordonna cette restitution. Mais elle ne fut pas immédiatement exécutée. En effet, au Conseil du roi Louis XIII, des personnes se demandaient si méritait d’être réclamé le Canada, « cette région glacée qui ne peut nourrir ses habitants ». Certains conseillers prétendaient même que la colonisation produirait peu d’avantages et beaucoup d’inconvénients. Ils proposaient de ne pas revenir dans cette terre lointaine.

Richelieu n’approuva pas cette politique d’abandon aux vues étroites et utilitaires. Son patriotisme et sa foi se refusaient à laisser la protestante Angleterre jouir en paix sur le Saint-Laurent de positions injustement conquises. Le cardinal, récemment vainqueur du siège de La Rochelle (1628) et de la guerre de Succession de Mantoue (1631), fit alors armer dix navires en vue de la reconquête de la Nouvelle -France. Londres craignant un nouveau conflit, signa alors le 29 mars 1632, le traité de Saint-Germain en Laye rendant à la France ses possessions d’Acadie et du Canada.

Les Jésuites s’en réjouirent, ils voyaient dans cette paix retrouvée comme une intervention divine en faveur de leurs travaux apostoliques. En effet, durant trois années, une incessante chaîne de prières des Ursulines, des Jésuites et des Carmélites de Paris, demandaient à Dieu de permettre à la Compagnie de Jésus de poursuivre sa mission en Nouvelle-France.

Cela commença à se réaliser en juillet 1632 avec le départ depuis Dieppe du Père Paul Lejeune, un jésuite de 31 ans, ancien du Collège de La Flèche. Il était accompagné du Père Massé qui après l’Acadie et Québec retournait avec joie pour la troisième fois au Canada, et du Père Anne de Nouë. En 1633, Champlain, nommé gouverneur de Québec, revenait dans la ville avec Jean de Brébeuf. Le Père Paul Lejeune inaugure alors une résidence à Trois-Rivières, en amont du Saint-Laurent, pour être proche des Algonquins. Il donne aux enfants des leçons de catéchisme et il fonde à Québec pour les fils des colons le premier Collège de Jésuites d’Amérique du Nord. Le Père Jean de Brébeuf de son côté, au prix de voyages exténuants partait chez les Hurons. Ces Jésuites allaient faire l’admiration de Mère Marie de l’Incarnation, une sainte que connaissent bien les Ursulines et les Tourangeaux, cette femme dont le directeur spirituel était le Jésuite Jacques Dinet, le futur confesseur officiel du roi Louis XIII.

A partir de 1632, sous la direction du Père Paul Lejeune, vont commencer à être publiées par les Jésuites de la Nouvelle-France, des Relations de ce qui s’est passé de plus remarquable en Nouvelle-France. Ces ouvrages qui seront publiés de 1632 à 1672, contiennent quantité d’informations sur la géographie, l’économie, l’ethnographie, ainsi que des récits et des biographies évoquant les guerres entre Hurons et Iroquois en particulier, les effroyables tortures infligées aux captifs Hurons, Algonquins ou Français. Ces relations font un compte-rendu sur la mission, la réduction des sauvages nomades en bourgades et sur l’apostolat missionnaire et ses résultats, comme celle de la fondation de Ville-Marie, Montréal.

Jérôme Le Royer de la Dauversière, les Jésuites et la fondation de Montréal.

C’est au cours des années 1630-1640 que s’initie à La Flèche la fondation de Ville-Marie – Montréal. En effet, au Collège jésuite de La Flèche en 1630, on se souvenait encore des récits effectués par les Jésuites qui avaient connu l’expérience missionnaire à leur retour de l’Acadie et de Québec, comme le Père Massé.

C’est ainsi qu’en 1630, l’influence de ces témoignages allait se faire sentir auprès de Jérôme Le Royer de la Dauversière, un des premiers élèves du Collège Henri-le-Grand, un condisciple de Descartes et de Marin Mersenne notamment. Si Jérôme Le Royer était né à La Flèche le 18 mars 1597, c’est à Tours qu’il passa les dix premières années de sa vie où son père exerçait les fonctions d’administrateur des biens des chanoines de la Collégiale Saint-Martin. De retour à la Flèche en tant que receveur des tailles en l’Election de La Flèche, son père confia le jeune Jérôme aux Jésuites. Il y connut comme professeurs le Père Charles Lallemant, le Père Paul Lejeune, mais aussi de futurs missionnaires au Canada comme le Père François Ragueneau et le Père Ennemond Massé.

Jérôme Le Royer de la Dauversière reçut au Collège une formation intellectuelle solide selon les modalités nouvelles contenues dans le « Ratio studiorum », la règle des études. Le jeune René Descartes louait son collège jésuite fléchois dans le Discours de la méthode comme « l’une des plus célèbres écoles de l’Europe ».
Mais les Jésuites soignaient aussi la formation morale et spirituelle de leurs jeunes élèves. En effet dès le début du Collège, ils eurent à cœur de développer des congrégations mariales où l’on pratiquait des exercices spirituels et charitables. Jérôme Le Royer en fit partie et il eut aussi l’occasion, comme ses condisciples, d’entendre à La Flèche le Père Massé évoquer dès 1614 son séjour en Acadie et ses tentatives d’évangélisation des Amérindiens, Micmacs ou Souriquois. De là vint sans doute son enthousiasme pour la mission de la Nouvelle-France.

Ses études achevées, Jérôme succède à son père comme Receveur des tailles. Il se marie et devint père d’une famille de cinq enfants. Mais se produit un événement le 2 février 1630 qui selon le témoignage écrit de son petit-fils marquera son existence : « Le jour de la Purification de l’année 1630, Jérôme Le Royer de la Dauversière… se sentant animé d’une ardeur extraordinaire et comme ravi en extase, il lui sembla que Dieu lui commandait de travailler à l’établissement de la Congrégation des Filles Hospitalières de La Flèche… ». Jérôme en effet se sentait comme investi de la mission de rénover totalement l’Hôtel-Dieu de La Flèche pour secourir les pauvres et les malades et de fonder une communauté de Religieuses hospitalières pour le desservir. Son confesseur jésuite Chauveau consulté lui répondit que ce projet était « extravagant et de tout point irréalisable ». En vérité, ce ne fut pas le cas. En effet, Jérôme Le Royer rénova complètement l’hôpital de La Flèche et créa, tout en étant un laïc marié, une congrégation de Religieuses hospitalières avec le concours de Marie de la Ferre. Mais à partir de 1635, il songe aussi à une fondation en Nouvelle-France pour évangéliser les Amérindiens et secourir les pauvres et les malades. Il crée alors la Société Notre-Dame de Montréal avec Jean-Jacques Olier, Gaston de Renty, de la Compagnie du Saint-Sacrement et Pierre de Fancamp. Une brochure publiée à Paris en 1643 en donne les motifs : « Le dessein de Montréal a pris son origine par un homme de vertus (Jérôme Le Royer) qu’il plut à la Divine Bonté inspirer il y a sept ou huit ans de travailler pour les sauvages de la Nouvelle France ».

En 1639, avec l’appui du Père Charles Lalemant, Procureur des missions jésuites, et celle du Baron Pierre de Fancamp, il obtient la propriété de l’île de Montréal dont voulut bien se dessaisir M. de Lauzon au nom de la Compagnie de la Nouvelle France. Jérôme Le Royer dès 1640 prépare à La Flèche l’envoi de matériaux pour la colonisation de Ville-Marie. Grâce aux Jésuites, Jérôme recrute en 1641 Paul de Chomedey de Maisonneuve, un célibataire originaire de Troyes, comme capitaine de l’expédition, avec une cinquantaine de gens de métiers divers recrutés par contrats et qui partent sur trois vaisseaux. Jérôme Le Royer accompagne le groupe jusqu’à La Rochelle où il rencontre grâce aux Jésuites Jeanne Mance, la future fondatrice d’un Hôtel-Dieu à Ville-Marie. A l’automne 1641, le groupe arrive à Québec, accueilli par le Père Barthélémy Vimont, ancien professeur à La Flèche et supérieur des Jésuites de Québec. En ce lieu, ils passèrent l’hiver et au printemps, la petite troupe recrutée par Jérôme Le Royer, remonte le Saint-Laurent pour fonder Ville-Marie, le dimanche17 mai 1642. Le Père Barthélémy Vimont célébra la première messe en ce lieu appelé à devenir l’une des plus grandes cités du Canada.

D’autres expéditions allaient suivre, partant de La Flèche, puis de La Rochelle, en 1653 et 1659. Jérôme Le Royer accompagnait alors non seulement trois Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph, mais aussi Marguerite Bourgeoys et Jeanne Mance.. Cette même année 1659, la Nouvelle-France allait accueillir son premier évêque, François de Montmorency-Laval, lui aussi ancien élève du Collège de La Flèche.

Conclusion

Ainsi, comme nous l’avons vu, les Jésuites ont joué un rôle fondamental dans la formation de la Nouvelle-France. Ils en sont l’âme et les acteurs. Beaucoup parmi eux avaient séjourné dans ce collège jésuite de La Flèche

En Acadie, à Québec et à Montréal, ils ont contribué à mieux connaître les Amérindiens qu’ils venaient évangéliser : Hurons, Iroquois, Algonquins, en particulier. Observant leurs coutumes, apprenant leurs langues, ils sont devenus par la publication annuelle des Relations les premiers historiens de la Nouvelle-France. Même si des Jansénistes ont déclaré que leurs récits étaient mensongers, les Jésuites ont pour eux le témoignage irréfutable de la tourangelle Marie de l’Incarnation. Elle les avait vu œuvrer avec beaucoup de courage, d’abnégation et de sacrifice jusqu’au martyre comme les saints Isaac Jogues, Jean de Brébeuf ou Gabriel Lalemant. Cette Ursuline de Tours affirme dans une lettre du 30 octobre 1650 au sujet du Père jésuite Jérôme Lalemant qu’il était le plus saint homme qu’elle eût connu depuis qu’elle était au monde.

Les Jésuites ont été en Nouvelle-France les acteurs héroïques de ce qu’un académicien, Georges Goyau, a appelé une épopée mystique, celle des origines du Canada français. Ils en ont écrit brillamment l’histoire des origines selon leur devise « Ad majorem Dei gloriam ! ».

Bibliographie utilisée :

Eric Thierry : La France de Henri IV en Amérique du Nord. De la création de l’Acadie à la formation de Québec. Paris Librairie Honoré Champion 2008.

Dictionnaire biographique du Canada. Presse de l’Université Laval à Québec, Tome 1

C. de Rochemonteix. Les Jésuites et la Nouvelle-France au XVII° siècle. Tome 1

G. Goyau, de l’Académie française, & G.Rigault ; Martyrs de la Nouvelle-France. Ed. Spes, avec des extraits des Relations et Lettres des Missionnaires Jésuites.

Dom Guy-Marie OURY Jérôme Le Royer de la Dauversière, Positio Rome 1991